jeudi 6 octobre 2011

De la part de Didier Destremau

C’est mon tour. Sur requête du commandant en second, je prends le relais ou plutôt la plume après qu’Astrid ait révélé ces dernières semaines tout son talent de conteuse matinée d’historienne. Moi c’est Didier Destremau le géniteur du capitaine Henry que la petite famille a pris le risque d’héberger avec sa femme Anne alias petite mère en son sein pour une dizaine de jours. C’est à Corfou que les retrouvailles ont eu lieu avec quelques petites difficultés pour le choix de l’endroit où nous allions nous embarquer. Et an passage on ne peut que se louer de l’existence de cet instrument pratique qu’est le téléphone portable, encore qu’il ne faille pas trop réfléchir sur le trajet des ondes qui, pour franchir 100 mètres, vont deux fois transiter par la France avant de parvenir à bonne destination.
Après maints baisers, (quand même plus de deux mois de séparation), on  case son maigre bagage dans une vaste cabine qui nous est réservée (tout de suite deux mètres carrés…), on se met en tenue de mer (ici sous le soleil grec de septembre, c’est simpliste, se limitant à un costume de bain et éventuellement une casquette pour se protéger les yeux), et on revient sur le pont pour l’appareillage et la recherche d’un mouillage approprié pour permettre aux huit membres de l’équipage de débarquer. A nous Corfou  qui fut pendant des siècles la proue avancée et orientale de Venise, et qui, aujourd’hui est bourrée d’étrangers  car deux gigantesques bateaux de croisière ont simultanément vomi leur cargaison de touristes tous munis de caméras ronronnant en permanence. Mais comme il leur faut, heureusement  rejoindre le bord pour déjeuner confortablement, la ville se livre vite à nous huit, silencieuse et soumise que nous parcourons en bande, contemplant une architecture de pierre ocre pâle, mélange complexe des apports italien, britannique et même français car Napoléon a régné sur cette île pendant une paire d’années. Des ruelles tordues et étroites, bordées de commerces les plus divers où règnent en priorité bistrots et restos, mais où se nichent quand même des artisans authentiquement grecs comme d’habiles joailliers, des façonniers de bois ou des confiseurs. Deux citadelles dominent orgueilleusement la cité, et c’est justement au pied de la plus ancienne, la vénitienne que nous trouvons d’abord un mouillage puis pour la seconde nuit un anneau, ce qui nous permet de la traverser plusieurs fois pour aller en ville.
Le cahier des charges de la « croisière » ne prévoyait pas de demeurer dans cette perle de l’Adriatique trop longtemps et il faut bien la quitter au bout de deux jours non sans s’être au préalable avitaillé en vivres et carburant : Il n’y a pas, en effet que la becquée à fournir trois fois par jour aux quatre filles… Existent aussi quatre adultes dont l’appétit est bien aiguisé par le grand air et les exercices quotidiens de natation. La prochaine étape prévue est Paxos qu’a repéré sur la carte électronique le couple de propriétaires de Datcha. C’est une étrange petite ville lovée autour d’une non moins curieuse anse reliée à la pleine mer par ses deux issues. Le capitaine décide de mouiller en dehors de ce passage fréquenté par de multiples croiseurs grands et petits, ce qui nous vaut un dangereux coup de vent nocturne et un repli stratégique en catastrophe pour pénétrer dans l’obscurité et la houle dans l’étroit goulet.
Mais je ne veux pas déflorer le sujet en adoptant le ton trop classique et chronologique d’un journal de bord. Avant de poursuivre, il me faut, semble-t-il décrire comment s’organise la vie à bord de cette famille élargie de huit personnes. Après deux mois de mer, les quatre filles sont parfaitement amarinées : Elles évoluent avec maestria et agilité, montant et descendant du cockpit au carré et vice versa, circulant sur un pont en pente ou dans une cabine secouée comme peu de pruniers n’ont jamais été. Sans hésiter sous les brutaux coups de roulis qui agitent frénétiquement le bateau, elles nous mènent à penser que nous avons peut être donné le jour à une descendance quasi simiesque ? … Elles participent aux  manœuvres, sachant désormais parfaitement où se trouvent les  divers impedimenta nécessaires à icelles : taquets coinceurs, commandes du moteur, du pilote ou de l’ancre, amarres… et j’en passe. Mais ce qui est le plus révélateur de leur amarinage est lorsque sonne l’heure de la classe :  Sans que soit nécessaire le moindre éclat de voix,  cahiers, livres et crayons apparaissent sur la table comme par enchantement et le regard sérieux et attentif, les filles penchent doctement la tête en commençant devoirs et interrogations .Pendant  les trois heures que durent les cours quotidiens, les secousses se succèdent plus violentes les unes que les autres, la gîte fait rouler les crayons et les cahiers, mais, imperturbables, la leçon se poursuit. Chapeau devant les élèves nautiques…et devant l’institutrice qui conserve son calme même si parfois elle demande au barreur de limiter la gîte afin de faciliter la studiosité tout autant que la cuisson de la tambouille.
Je ne poursuivrai pas l’énumération des plaisirs procurés par les escales suivantes, comme Lépante ou Ithaque ou d’autres îles aux noms barbares. Laissez-moi terminer cette chronique en vous parlant de la traversée du canal de Corinthe : Après une courte attente, on vous donne par radio le feu vert pour entrer dans ce boyau long de six kilomètres et étroit d’une trentaine de mètres.





 Rectiligne, tiré au cordeau, cet étroit passage est surtout spectaculaire par la hauteur des parois qui nous dominent, nous écrasent de leur centaine de mètres.







On se sent insérés, enfouis, dominés, écrasés pendant les trois quarts d’heure que dure la traversée.







Mais le canal pour touristique qu’il soit est menacé car de moins en moins de gros bateaux l’utilisent et donc les ressources diminuant, l’absence d’entretien saute aux yeux : Le canal s’avachit, s’écroule sur lui-même et va se boucher sauf si l’UE intervient comme Zorro.








Mais Athènes coïncide avec la fin de notre parcours, et il nous faut tirer notre révérence avec tristesse et quelques larmes. Une chanson nous revient à l’esprit tirée de l’opérette «  les cloches de Corneville » : Nous avons fait un beau voyage, nous arrêtant à chaque pas…

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